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Les Objets Volants


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Les Tournemains

Le Tournemain est un objet que j'ai mis au point pendant mes études au Centre National des Arts du Cirque, en 1996-1997.
Dans le cadre des études, nous avions un cours où nous étions invités à réfléchir sur nos agrès et accessoires. C'est dans ce cours que j'ai dessiné une série de prototypes inspirés de la massue de jonglage.

La massue était mon objet favori de l'époque et je rêvais d'une série d'adpatations de cet objet traditionnel. A l'époque, je pratiquais surtout le jonglage mais aussi les équilibres sur les mains. L'une de mes pistes était de créer un objet qui remplisse la double fonction de massue de jonglage et de canne d'équilibre. C'est une piste que je n'ai pas développée, comme elle présentait de sérieuses difficultés techniques, et que pour cause de blessure j'ai aussi abandonné la pratique des équilibres. Je me suis concentré sur plusieurs autres caractéristiques : la dissymétrie, la station debout, l'interaction des objets entre eux.

La dissymétrie

J'avais à l'esprit Thierry André, qui faisait partie des premières promotions du CNAC. Thierry utilisait des massues décorées avec quatre bandes d'adhésif noir placées dans le sens de la longueur, de sorte que la rotation des massues selon leur axe devenait visible. Je trouvais que cela enrichissait la perception du jonglage et je voulais développer ce principe. Je voulais que la dissymétrie ne soit pas le résultat d'une simple décoration mais découle de la conception de l'objet. J'ai donc dessiné plusieurs versions de massues dissymétriques.

La station debout

J'étais encore une fois inspiré par Thierry André, qui plaçait les massues debout au sol plusieurs fois au cours de son numéro, et je voulais développer cette idée.

Dans beaucoup de numéros de jonglage, les jongleurs rangent ou accrochent leurs massues dans des boîtes ou des paniers, ou les entreposent couchées sur le sol. Ainsi les massues disparaissent ou meurent symboliquement ; elles sont à l'état de repos complet voire hors de la vue des spectateurs, donc absentes ; dans cette situation, elles ne font plus vraiment partie du numéro.

Je trouvais que la station debout permettait une plus grande expressivité, cela permettait aux objets de continuer à faire partie du numéro alors qu'ils n'avaient pas de rôle actif à ce moment. Cela en faisait presque des personnages, des partenaires du jongleur plutôt que des objets inanimés et contrôlés par le jongleur.

Je voyais de nombreux jongleurs tenter d'utiliser ce principe de la massue debout, mais la conception des massues rendait fragile le positionnement des massues, surtout sur un sol irréguler, pas parfaitement horizontal, ou bien si l'embout de la massue était usé ou endommagé.

Comme pour l'idée de dissymétrie, je voulais que la station debout fasse partie du concept de l'objet plutôt que de petits ajustements fragiles.

J'ai dessiné des prototypes avec une base large, de sorte que même un geste imprécis permette de poser l'objet en station verticale sur le sol, de façon stable, indépendamment de la qualité du sol ou des courants d'air.

L'interaction entre les objets

Deux massues ne tiennent pas ensemble, sauf si elles sont tenues dans la même main, ou maintenues en équilibre l'une sur l'autre grâce à des habiletés motrices fines de correction continue impliquant.
A la manière de mes réflexions sur la station debout, je voulais un objet qui, par conception, permette des empilements et emboîtements. Une zone plate était une solution, et un trou était une autre. Un anneau rassemblait les deux. La forme complète était au point : un anneau avec un manche fixé sur le côté de l'anneau et rejoignant l'axe de l'anneau ; une partie du manche créant une dissymétrie.

La réalisation

Une fois mes idées rassemblées, je fabrique un premier prototype en chauffant un tuyau de gaine électrique à l'aide d'un sèche-cheveux. La chaleur de l'appareil étant insuffisante, je passe rapidement à un décapeur thermique. De plus, je dois trouver des solutions pour éviter que le tube ne plie lors de la mise en forme. Pour y parvenir je rempliss le tube de sable tamisé et tassé. Je tâche tant bien que mal de répartir la chaleur le long des zones à courber.
Enfin, pour obtenir à la fois un poids adapté et un aspect plus agréable, je couvre le tube de ruban isolant blanc.
Après quelques tentatives j'obtiens quelques exemplaires utilisables, et je peux commencer la recherche pratique.

Je trouve un certain nombre de figures. Je découvre que les tournemains, quand ils sont couchés au sol, peuvent balancer un moment avant de s'immobiliser. C'est une propriété inespérée, une forme embryonnaire d'autonomie.

J'écris des enchaînements. J'essaie de répartir les tournemains sur l'espace scénique en fonction du nombre d'objets utilisés pour les figures, en minimisant les "régies plateau", en faisant en sorte que les déplacements soient intégrés dans un plan global.

Je normalise la fabrication avec des gabarits en bois, et note précisément la méthode. Une zone du tournemain est particulièrement fragile, celle de la jonction de l'anneau et du manche, qui est à la fois la plus courbée et la plus sollicitée. Je dois donc fabriquer régulièrement de nouveaux exemplaires à mesure des entraînements.

Je fais une première présentation en juin 1997 lors d'une présentation interne au CNAC. Plus tard, en juin 2001, je montre le numéro au festival Dans la Jongle des Villes organisé par Jérôme Thomas, et en septembre 2001 au festival Jonglissimo de Reims. Je crois me souvenir que c'est là que Jean-Michel Guy m'a proposé le nom des Tournemains. Le mot tournemain fait référence au "temps qu'il faut pour tourner la main", et se dit par exemple d'une action rapide, quelque chose qui est fait "en un tournemain". C'est là que par jeu, je commence à collectionner les associations d'idées que les spectateurs me renvoient. En voyant les tournemains, certains voient des points d'interrogations, des spaghettis, des stérilets, des prothèses, des lunettes géantes, des clubs de golf, des fils à bulles de savon... J'ai découvert plus tard que des formes très proches étaient fabriquées industriellement à usage de sèche-carafe, de porte-sopalin, ou de pied d'arrosage de jardin.

J'ai joué ce numéro un certain nombre de fois, peut-être une soixantaine, en toutes sortes d'occasions : conventions, programmes de théâtre, festivals, comme partie de mes spectacles en salle ou en plein air, jusqu'à 2017.

Un tournemain figure aujourd'hui au Museum of Juggling History de David Cain, à Middletown (Ohio, USA).




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